Il y a la main tendue d'un père à son fils et, quelques années plus tôt, celle d'un autre père à un autre fils. Dans les deux cas, un mur d'incommunication, un gouffre d'indifférence ou d'incompréhension.
Il y a aussi, d'un côté, cinq années de violence en Russie, de 1915 à 1920, avec leurs atrocités infligées, subies ou observées, et, de l'autre, une simple journée, celle du difficile retour au pays et à la vie civile.
Entre ces deux plateaux d'une balance déséquilibrée, il y a l'évocation des quatre générations de Rogoyski qui, partis de rien, avec une insolente bonne santé, ont acquis un immense domaine terrien au grand dam de la noblesse polonaise locale. Pour relier le tout, il y a la futilité de la guerre et de la mort, le dérisoire de la vie et de la paix, l'inanité de toute entreprise, l'atavisme d'une schizophrénie rampante. Avec, pourtant, la volonté explosive de chaque Rogoyski de se réaliser pleinement.
Les retours ne sont pas seulement géographiques ou spatiaux: ils finissent toujours par déboucher sur l'intemporalité du retour à soi-même. « D'une manière ou d'une autre, nous revenons tous », dit un personnage. Ce à quoi répond un autre, comme en contrepoint: « Il n'y a pas de retour si on ne vient de nulle part. » C'est bien entre ces deux constats apparemment inconciliables qu'oscille le mystère du présent ouvrage, tour à tour cruel, feutré, serein, impitoyable comme une démonstration mais émouvant comme une saga.