Un homme d’une cinquantaine d’années — l’auteur ou son double — souffre d’insomnie. Il tente de se faire soigner dans une clinique du sommeil, mais le personnel d’admission s’est mis en grève illimitée. Livré à lui-même, il divague, se remémore des épisodes de son enfance, de son adolescence, l’incompréhension et le cynisme de ses directeurs successifs. Il raconte également ses amitiés, la jeunesse d’hier et d’aujourd’hui à Paris, avant d’évoquer la ville de Lorient, rasée par les bombardements, et livrée à l’urbanisme de l’après-guerre. Le texte entrecroise mélancolie, poésie, sarcasme ; il brouille les pistes, multiplie les personnages. Plus de 200 photographies de Lea Lund viennent jouer avec les mots, les contredire ou les provoquer. Le DVD d’un film écrit et réalisé par l’auteur accompagne le livre — un film apparemment documentaire qui joue des registres du drame et de la comédie. Comment écrire un récit, à la fois album de photographies, qui provoque un film, et comment réaliser un film qui résonne entre les pages du livre ? Des phrases, des personnages, des ratures, des virgules qui dansent entre les points. Des regards, des ombres, des nuages à cheval sur les vagues. Et des images en mouvement, le flou dans le viseur qui s’acharne à creuser dans la netteté. Des villes : Paris, Lorient… Et puis la jeunesse, le harcèlement au travail, l’insomnie, les médicaments. Comment parler de soi et des autres, évoquer l’amitié, le bonheur de faire et le malheur d’être défait, vaincu par d’imprévisibles vainqueurs ? Derrière cette jubilation qu’on qualifie abusivement de « travail » — écrire, photographier, peindre, dessiner —, il y a l’inquiétude, la besogne, les doutes, le découragement, l’orgueil, la peur, et puis la jouissance d’être en vie, de sentir, de croire en n’importe quelle histoire. Les langages s’entrechoquent ici dans un désordre apparent pour mieux danser ensemble, en souvenir du monde.