Préface de Georges Balandier
L’expédition du duc de Mecklembourg à laquelle participa Jan Czekanowski fut l’une des toutes premières missions menées par des scientifiques, et non plus, comme c’était souvent le cas, par des militaires, missionnaires ou administrateurs. Elle se soucia moins de sa popularité auprès de l’opinion publique que du sérieux de ses résultats scientifiques.
Les Carnets de route au cœur de l’Afrique débutent en décembre 1907 au Ruanda, et se terminent fin mars 1908 au Congo. Czekanowski assiste à la rencontre de deux mondes qui s’ignorent et aux conflits et malentendus, graves ou comiques, qui en résultent. Du côté africain: rois, chefs de villages, paysans, commerçants, soldats et leurs femmes; du côté européen: fonctionnaires, militaires, employés de grandes compagnies; et entre les deux; les missionnaires qui cherchent à percer « les secrets de l’âme noire », les contrebandiers noirs et blancs unis au-delà de toutes les différences par l’intérêt commun, les serviteurs africains enfin, familiers des Blancs et méprisant « les sauvages ». Tous s’efforcent tant bien que mal de tirer leur épingle d’un jeu qui les dépasse. Czekanowski observe la réalité, qui lui paraît très éloignée et des idées humanitaires prônées en Europe, et des aspirations des Africains. Il relate aussi la vie de la caravane, les rapports parfois tumultueux entre les collègues de l’expédition, la marche quotidienne souvent harassante, et bien sûr les recherches. Celles-ci, présentées telles qu’elles ont été recueillies, montrent le difficile chemin qui mène de l’enquête de terrain à la connaissance d’un sujet. Sans en avoir la formation, c’est en sociologue que le jeune chercheur observe et écoute les hommes et les femmes qui composent les sociétés qu’il découvre.