« – Nous resterons le temps qu’il faudra pour vous réapprendre la liberté. Vous en avez perdu le goût, vous autres, à Gherani. Ou bien vous ne savez plus ce que c’est, la liberté ?!
– Nous savons ce que c’est, mais, vous comprenez, nous, les paysans, nous avons plus besoin de tranquillité que de liberté. Si nous avons la tranquillité, nous aurons à manger, et si nous avons à manger, alors nous pourrons jouir de la liberté, qui n’est qu’un oiseau de rêve. »
En jetant ses personnages dans la Roumanie de 1916, occupée par les Puissances centrales, Eugen Uricaru nous les montre faibles et nus sous l’orage, plus dignes de compassion que d’être jugés, trop hâtivement partagés en héros et en lâches. Point ici de « mal absolu », mais la forme ancienne, et récurrente, de l’arbitraire qui s’abat sur les peuples. On souffre, on est écrasé, mais jamais la vie quotidienne ne s’arrête : on grandit, on s’aime, on travaille pour son pain.
Un haut fonctionnaire qui reste à son poste quand tout s’effondre et un capitaine « résistant » par la faute duquel tout un village est massacré : le manichéisme n’est pas à la fête. Un jeune homme, à l’heure des premières fois, un vieil acteur lunatique, qui héberge deux jeunes filles « un peu anarchistes, théosophes, que sais-je ? », et commence une ronde enivrante. Tandis qu’apparaît et disparaît la mystérieuse Grazia, à laquelle un magicien gitan a livré ses secrets, ce grand roman nous emporte dans un monde où « le passé est aussi imprévisible que l’avenir ».