Mikhaïl Kouzmine s'est déjà forgé une solide réputation de poète et de romancier lorsqu'il publie ses premiers recueils de nouvelles dans les années 1915. Adepte de la clarté du style, partisan de la simplicité de la vie dans l'art, méfiant à l'égard des écoles littéraires russes portées sur l'emphase romantique, il traîne aussi derrière lui un parfum de théoricien à rebrousse-poil et d'écrivain quelque peu scandaleux.
Les présentes nouvelles sont presque toutes des histoires d'amour atypiques : d'amour partagé mais aussi, le plus souvent, contrarié, non payé de retour, ou simplement suggéré. Ces mini-psychodrames à huis clos disent, avec la cruauté la plus délicate, avec l'ironie la plus raffinée, combien la vie se plaît à déjouer les prévisions les plus raisonnables et satisfaire les souhaits les plus déraisonnables. Tout se passe dans l'implicite, dans le non-dit, et le retour du bâton fait toujours mal. La littérature, chez Kouzmine, sait être retorse et impitoyable, comme les sentiments, comme la vie elle-même, le hasard le plus heureux pouvant témoigner, avec une absurde amertume, de l'amour le plus malheureux. Hâtons-nous de découvrir cet auteur qui pratique avec beaucoup d'aisance l'art suprême du suspense, de l'humour, mais également de la tendresse, et qui, faisant grincer les ressorts de la trivialité, parvient à transfigurer les petits riens de la banalité.