À l’heure où la vie s’achève dans un corps décrépit, le monde se réduit à la dimension d’une fenêtre, l’œil d’une maison en ruine où un homme, Harold Nivenson, remue ses souvenirs pendant que l’on convoite déjà ses biens. « Au moment crucial où les âmes se choisissent une enveloppe, je me suis trompé d’espèce », pense-t-il du fond de sa tanière d’où il épie les jeux des enfants, le va-et-vient des voisins, leurs pantomimes dans les maisons d’en face, les arbres qui, le soir, projettent leur ombre sur ses mains décharnées, toutes les silhouettes de ce quartier embourgeoisé qui a bien changé depuis les beaux jours de la bohème.
Il y a peu, le vieil homme descendait encore en boitillant sur sa canne jusqu’à la rivière, avec son chien, méditant sur ce fameux « chemin de la vie » où, jadis plein d’espoir, l’on finit par s’enfoncer par mégarde dans une forêt obscure. Sa vieille femme fatiguée le soigne de son mieux, mais elle aussi est en train de s’effacer, et bientôt sa présence se confond avec les bruits de la télé.
Perdu dans ses veilles crépusculaires, Nivenson se plonge aussi dans tous ces tableaux accrochés autour de lui depuis des années, les derniers témoins du temps où il ouvrait sa maison à tous les artistes, où il avait une âme sœur, un frère, le peintre génial Peter Meininger. Mais Peter Meininger portait aussi en lui les germes de la destruction, et il laissa dans son sillage un tableau qui rend fou, un nu maléfique, l’abîme de Nivenson, où les rêves virent au cauchemar.
Moi, Harold Nivenson est l’histoire d’un homme qui chercha la fraternité dans l’art des hommes, mais qui, comme sa femme auprès d’un petit bouddha de porcelaine, trouva auprès de son chien le secret de l’art de mourir.
« De toute façon, c’est seulement la fin qui a de l’importance. La fin, et quelques petites choses juste avant. » Sylvain Trudel