Notabilia – J’ai 10 ans !
Édito
2013 commence un mardi.
Sixième année la plus chaude depuis 1850, on célèbre les 100 ans du Sacre du printemps, l’année internationale du quinoa et de la statistique. L’opération Serval débute au Mali. Armstrong et Cahuzac passent aux aveux, Barack Obama entame son deuxième mandat, Benoît XVI jette l’éponge. Oscar Pistorius, athlète amputé six fois médaillé d’or aux Jeux paralympiques, tire sur sa compagne Reeva Steenkamp à travers une porte et la tue. Un astéroïde de 45 mètres de diamètre ne passe qu’à 27 700 kilomètres de la Terre, Nelson Mandela et Margaret Thatcher passent l’arme à gauche ; Xi Jinping et Nicolás Maduro investissent la place. On découvre de la viande de cheval dans les lasagnes. La dette publique française représente 95,1 % du PIB. On implante pour la première fois chez un humain un coeur totalement artificiel – le patient décède 74 jours plus tard.
Le Festival de Cannes, présidé par Steven Spielberg, décerne la Palme d’or à La Vie d’Adèle. À Trappes, un contrôle policier visant une femme vêtue d’un niqab dégénère en violences urbaines. Au bac, on planche sur Chamoiseau. Vers une heure quinze du matin, un train de la compagnie Montréal, Maine & Atlantic avec cinq locomotives et soixante-douze wagons-citernes transportant du pétrole brut déraille dans le centre-ville de Lac-Mégantic, faisant quarante-sept victimes. Alice Munro reçoit le prix Nobel de littérature. Après d’âpres et longs débats, une mobilisation musclée et de virulentes oppositions, la loi autorisant le mariage entre personnes de même sexe est promulguée en France.
Notabilia vient au monde, sous l’impulsion de Vera Michalski et Brigitte Bouchard.
Ce qui l’anime ? L’audace, la prise de risques, le désir de donner naissance à des voix singulières, claires et fortes. Des écritures intrépides, engagées. Des autrices et des auteurs investi·e·s de la responsabilité, de la nécessité de dire le collectif, le contemporain. De l’urgence de mettre en mots les noeuds, les injustices, les doutes, les transformations. Qui savent qu’il faut parfois accoucher de monstres pour dire notre époque monstrueuse.
Giosuè Calaciura nous ligote dans sa prose merveilleuse pour nous forcer à entendre ceux qui n’ont jamais voix au chapitre. Avec délicatesse, mesure, poésie, Gaëlle Josse donne la parole aux gens simples, aux oubliés de l’histoire, à ceux qui trébuchent. Antonio Ungar, lui, choisit le plus abject des narrateurs pour nous confronter aux dérives de notre temps. Du roman naturaliste au picaresque, de la dystopie au monologue martien, Sophie Divry ne cesse de se réinventer pour parler de solitude, de ¬ délité, du besoin de transcendance et de destin. Armé de tendresse, Aurélien Delsaux tire à vue sur notre époque, et il la touche en plein coeur. C’est par un ressassement presque mathématique que Dag Solstad se dresse contre la bêtise et la médiocrité du monde moderne. Notabilia, c’est aussi le phrasé obsédant de Fatima Daas, qui ne cesse de se heurter, comme dans une chambre d’écho, aux limites de l’identité. Le surréalisme _ évreux de Qiu Miaojin, qui hurle le refus du compromis, de se compromettre. Les monologues menteurs de Denis Michelis qui, livre après livre, poursuit son travail de déconstruction massive de la famille. Maya Angelou, Stéphanie Chaillou, Ludmila Charles, Matthieu Zaccagna, Sara Baume, Mona Høvring, Adrien Blouët, Mario Levrero, Sara Bourre, Eden Levin, Rune Christiansen, Madame Nielsen, et bien d’autres encore, y sont chez eux car chacun à sa façon, avec son timbre et son ton, raconte, s’engage, révèle, sans jamais nous donner de leçons. Ambitieux, gentils, droits, courageux, sensibles, les Notabiliens se connaissent, sont amis, travaillent ensemble, rêvent à une nouvelle école du roman. Aujourd’hui, Notabilia a 10 ans, certainement pas l’âge de raison.
Manon Frappa
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En vedette ce mois-ci
Sara Bourre
Requiem pour la classe moyenne
« Maman a disparu. C’est pas simple. Il a fallu le redire plusieurs fois, décomposer la phrase, la prendre et la secouer. Maman a disparu. Quelle folie de phrase. Si je la chuchote, les larmes me montent et me brûlent, si je la prononce avec une voix de fer, comme un vieux robot fatigué, ma-man-a-dis-pa-ru ma-man-a-dis-pa-ru, ça me fout la chair de poule et l’impression d’une catastrophe planétaire imminente. Si je la crie, si je la jette loin sur les routes, en plein cœur de ces villes qui scintillent et grincent sous ma peau, si je la crie si fort que ma voix casse, alors je crois que ce n’est plus vraiment triste. Pas aussi triste que ça. Je dirais plutôt affolant. Sidérant. Ou encore stupéfiant. Voilà. C’est affolant sidérant stupéfiant et ça me rend le cœur dingue, et étrangement vivant aussi. » L’enfant écoute tout, observe tout, et avant toute chose sa mère, une fascination qui oscille entre haine et passion, dont on sent le danger, la menace, la violence des sentiments. C’est une enfant sage, étrange. Elle a grandi robuste, comme une mauvaise herbe. Elle sent, perçoit, palpe, traque, à l’affût, toujours tapie. Un jour, sa mère disparait. Alors, que va-t-elle devenir ?
Aurélien Delsaux
Requiem pour la classe moyenne
Etienne rentre de vacances avec sa famille parfaite et son apparent bien-être. Sa vie est confortable, routinière. Il mène une vie normale, c’est l’essentiel. Quand soudain, on annonce à la radio la mort de Jean-Jacques Goldman. Avec cet adieu au totem et au ciment des classes moyennes, Aurélien Delsaux tire à vue sur notre époque, et il la touche en plein cœur. À propos de son précédent roman, Pour Luky : ``Les vies sous-jacentes, celles qui passent sous les radars, les mineures, les nouvelles, le roman doit les dire, c'est sa raison d'être. Voilà ce que fait Delsaux, vite, fort, il invente une langue qui est comme un couteau papillon, qui se plie et se replie sans cesse, virevolte et blesse pour finir.`` Nicolas Mathieu